EMMANUEL  DRIANT         VENTS

 

Le poéme pictural "Vents" se développe par couches, les stades antérieurs poussant vers la surface les suivants, suspendant le texte lisible en état de fragilité permanente, comme lave en fusion. Par instants, le fil des lettres devient palpable, dans le grain et la texture du lin. La lecture des grands poétes déclenche en nous cet affleurement de nappes d'images, durables ou fugaces. Des couleurs qui passent, des énergies qui pulsent, des formes qui buissonnent. Et globalement une expérience inaltérable.

Un texte est toujours écrit dans et par une matiére et, lu, même silencieusement, il réveille les composantes pulmonaires et glottiques de notre corps. Si décidée soit-elle, une écriture induit un certain tempo, fait de frottements, d'assonances, de rythmes, d'hésitations, de retours, jusque dans les gouttiéres d'espace ménagées entre ses mots. La peinture peut révéler ce tissage de l'écriture. Comme il y avait déjà dans le seul trait de la ligne d'échine des Vaches Bleues toute la puissance ramassée des énergies conjointes d'un organisme, de ses muscles, ses nerfs et sa colossale colonne d'os. Comme il y a, dans le Coeur (écrit/peint) d'Harcamone, une combustion des signes en un événement pur, et halluciné.

 

 

MICHELINE LO           LES DEUX TEMPS D'éLABORATION

Chacun des vingt-six poémes a été recopié en entier. Il l'a été de bas en haut, en recommençant du bas quand le haut de la toile était atteint. Sans doute par imitation du mouvement du vent.

Le but au départ était de m'immerger dans Saint-John Perse sans prendre les rênes picturalement. C'est pourquoi j'ai tout recopié en caractéres relativement grands, ce qui ralentissait le travail et me permettait de m'imprégner du texte sans effort.

Comme je voulais m'effacer derriére l'auteur, je me suis astreinte à un code des couleurs.

Une couleur différente a été adoptée pour chaque strophe. Et dans chaque strophe une nuance différente de cette couleur caractérise chaque verset.

Les couleurs alternent d'une strophe à l'autre. Si, par exemple, la premiére est recopiée en rouge et que la deuxiéme l'est en bleu, la troisiéme l'est en rouge, la quatriéme en bleu, et ainsi de suite.

Mais certains poémes sont beaucoup plus longs, et sont composés de plusieurs groupes de strophes, que Saint-John Perse sépare par des astérisques. Dans ce cas la copie opére une nouvelle alternance d'ordre supérieur, comme par exemple :

rouge/bleu/rouge/bleu ... pour le premier groupe,

vert/jaune/vert/jaune ... pour le second,

rouge/bleu/rouge/bleu ... pour le troisiéme, etc.

Cette osmose a pris une autre forme à travers les recouvrements, une couche masquant plus ou moins l'autre, la détruisant, ce qui correspondait au rapport de l'écrivain à ses brouillons. Parfois, chez Saint-John Perse, à dix pages de texte définitif correspondent cent pages de brouillon. Il y avait donc là une démarche d'accumulation et de soustraction trés participative.

Quand le poéme était recopié en entier, j'intervenais comme peintre en dégageant plus ou moins une phrase, en la soulevant depuis la multitude du fond. Un de mes objectifs a été de donner au fond un dynamisme qui le fasse entrer en compétition avec la phrase dégagée.

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