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L'Enfer de Jean Genet - 1
Portraits, 1990-1991
 
 
 
 
A propos de cette série  
 
Une trentaine de techniques mixtes sur papier, inspirées de Miracle de la rose, 1946, roman semi-autobiographique, de Jean Genet

Après 3 séries, puis encore 2, inspirées du paradis de DANTE, Micheline LO consacre 3 séries à l'enfer, celui de GENET.

Tout oppose ces séries. Thématiquement et picturalement. Le paradis est transcendance, l'enfer est immanence. Le paradis est expansion, l'enfer enfermement. Le paradis est lumière, l'enfer est ténèbres. Le paradis de DANTE est spirituel. L'enfer de GENET est corporel.

Les séries du paradis ne pouvaient commencer par des portraits. Celles de l'enfer commencent par des portraits.
 
 
 
Ce qu'en dit Micheline LO  
 
« Si l'enfer était froid et humide, écrit Genet, les prisons seraient l'enfer. » Il faut dire que l'Enfer de Dante n'avait pas inspiré le peintre ; le poète a d'ailleurs confessé que sa cible était le ciel, et qu'il avait écrit Enfer et Purgatoire en vue du Paradis.

Genet, lui, sait de quoi il parle, il s'exprime en compagnon des anges du mal, qu'il chérit pourvu qu'ils ne soient pas souillés de repentir. La série compte une dizaine de toiles, une trentaine de papiers ; et trente-cinq petites encres de Chine qui incrustent de dessins le texte même de Jean Genet racontant la mort d’Harcamone.
 
 
 
Ce qu'en dit Henri VAN LIER  
 
Dans le pèlerinage des paysages cérébraux, un Enfer devait suivre le Paradis. Pas l'Enfer de Dante, trop anecdotique, et moralisateur, politique. Le vrai Enfer, celui de Jean Genet. Celui du crime comme gloire, de la gloire du crime. Elle aimait rappeler que, quand adolescente elle avait lu Crime et Châtiment de Dostoïevski, elle était devenue Raskolnikov. Comme peintre, après avoir été Dante et Béatrice, elle devint les bandits de Genet, d'autant que celui-ci ne décrivait pas ses criminels du dehors, mais justement à partir des foisonnements de leurs étranges colonies de neurones. N'avait-il pas partagé leur destin, en tant que voleur, et comme prisonnier ? Le peintre est un voleur et un assassin, écrivait Luc Dellisse.

Picturalement, il fallait d'abord que chaque « héros » fut là, et en une telle évidence de sa qualité singulière d'héroïsme qu'il se reconnaisse au premier regard. Un ami qui passait par hasard les dénomma sans hésiter. Mais cela restait trivial, freudien, psychologique. Il importait d'atteindre la Ténèbre qui faisait l'incandescence de ces nuits. Le premier qui obtint sa gloire fut Harcamone, nez-sexe dressé comme un pilier roman central, auréolé de ses miracles, comme en ce jour où ses chaînes se transsubstantièrent en guirlandes de roses devant les yeux enamourés de Genet. Puis les autres, béatifiés un à un, firent le système contemporain de la gloire criminelle.

Luc Delisse s'arrêta au portrait de Weidman, le bandit qui ouvre Notre-Dame-des-Fleurs : « bouche serrée, front bas, regard effaré, joue creuse, auréole de gaze autour de la tête, et pincement pervers des narines » ; « cette cendre, ce malheur, ces yeux de suppliciés heureux. » ; « la comédie poussée jusqu'au crime, initiation transformée en chemin de croix » ; « tout ce qui pourrait être jeu et plaisir tourné au tragique, dans un feu universel de pompes funèbres ». Et encore : « Voyez cet art des couleurs dangereuses, salissantes, incompatibles ». « L'air bleu qui s'évapore...le vert et le brun par tranches, satellites lents, gouttelettes de sang, purulences délicatement verdâtres. Et la Mer rouge bien noire au-dessous ». « Un rouge caillé, d'une extrême violence, très proche du grenat grumeleux de certains velours, ceux de ces fauteuils clubs élimés dont la province est pleine. »

Elle affectionnait La Passion selon saint Matthieu de Jean Sébastien Bach. La Mort d'Harcamone fut sa passion selon Saint Genet, comédien et martyr, selon le titre hardi que Sartre donna à son long essai sur le bandit romancier et homme de théâtre. La scripteuse de Flexte recopia les méandres du texte à la fois en tant que séquence de mots et séquence de fantasmes. La Jeune Parque de Valéry n'avait pas descendu un escalier sonnant si creux, puisqu'elle avait fini par dire : « Viens plus bas. Parle bas…Le noir n'est pas si noir. »