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Salammbô
Portraits carrés
1993-1995
 
 
 
 
A propos de cette série  
 
13 portraits sur toile, inspirés de Salammbô, héroïne féminine, de Flaubert.
 
 
 
Ce qu'en dit Micheline LO  
 
Il s'agit pour le peintre d'une étape importante. Sa lecture de Salammbô datait de plus de trente ans, et s'était incrustée dans sa mémoire comme une pierre volcanique restée chaude. Flaubert fait rayonner l'épaisseur. Les événements et les états d'âme se construisent, tellement riches qu'ils emprisonnent le lecteur, pantelant sous l'accumulation, captif émerveillé d'une sorte de lave rutilante. C'est cela que la peinture a voulu rendre visible en une cinquantaine d'approches : papiers, soie, toile.
 
 
 
Ce qu'en dit Henri VAN LIER  
 
On se souvient que, quand elle tomba sur La Tentation de saint Antoine, c'est Salammbô qu'elle cherchait. Salammbô était en latence. Ce fut le seul cas où elle fit un voyage initiatique. Logeant à La Marsa et allant à Tunis, elle passait quotidiennement par Carthage, ou plutôt parmi les ombres qu'il en restait. Elle s'attarda évidemment au Taphet des sacrifices d'enfants. Elle y lut sur des colonnes ces comptes sacrificiels tenus dans l'écriture phénicienne, qui partageait la cursivité purement comptable de l'araméenne et de l'hébraïque archaïque. Elle vit le Cap Bon à partir de ce qu'on suppose avoir été le port fréquenté par Hamilcar et le jeune Hannibal. Un soir, elle prit son thé peut-être assise sur le siège où Flaubert avait pris le sien.

Les paysages cérébraux de la Salammbô de Flaubert ont une qualité spéciale. D'une absolue frontalité et compacité. Seuls les sculpteurs étrusques, de la même époque, semblent avoir vu certains visages comme cela. Rappelons-nous la phonosémie du texte, qui s'ouvre sur le couple phonétique le plus compact du français : « K-A » et « A-R », « KAR » (C'était à MéGAra, faubourg de CARthAge dans les jARdins d'HAmilKAR), et se clôture sur quatre T étreignants (Ainsi mOURut / la fille d'HAmilKAR / pour avoir Touché / au manTeau / de TaniT). Chez le peintre, cela donna des visages-substances. Ceux d'Hamilcar, de Shahabarim, de Spendius, d'Hannibal jeune. Enfin, remplissant le cadre entier, la tuméfaction du visage de Mâtho s'avançe vers celui se décomposant de Salammbô, qui s'évanouit. « Figures », au sens le plus épique.

Tellement solides que le peintre finit par convoquer les pigments purs du pastel. Ce furent six « esperpentos » presque minéraux. On songe à l'émotion de Schliemann quand, dans ses fouilles de Troie, il se trouva brusquement face à face avec le masque d'Agamemnon. Elle semble avoir éprouvé la même stupéfaction devant les masques carthaginois enserrés dans les consonnes et les voyelles de Flaubert.

La narration chez Flaubert est aussi compacifiante que les figures. Mâtho s'avance dans un aqueduc dont le sol remonte et le toit s'abaisse à mesure qu'il y progresse. Micheline Lo a retenu l'étranglement, l'orgasme maximal du récit, le moment où les Barbares, attirés par les Carthaginois dans des Thermopyles, y finissent écrasés dans un lac de pierres et de sang, qui continue celui où avait marché saint Antoine. Les "Bataille du Macar" sont des concassements minéraux et visuels à l'état pur.